Objet : Réponse à votre courrier concernant la proposition de loi visant à abroger le délit
d’apologie du terrorisme


Monsieur le Député,
J’ai pris connaissance de votre réponse à ma lettre ouverte sur votre compte X. Je ne relèverai
pas davantage la manière peu courtoise de me répondre pour m’attacher au fond. Je ne peux
qu’exprimer mon profond désaccord avec vos arguments concernant la proposition de loi visant
à abroger le délit d’apologie du terrorisme. Votre démarche, bien que présentée sous couvert
d’un respect absolu de la liberté d’expression, ignore les réalités sécuritaires de notre pays et
les implications dramatiques que cette abrogation pourrait avoir.

  1. Une confusion sur les fondements de votre proposition
    Vous insistez sur l’ajout des termes « du code pénal » pour présenter votre proposition comme
    un simple retour au cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Or, cette
    distinction est purement sémantique et ne change rien à la gravité de votre initiative. Le délit
    d’apologie du terrorisme, tel qu’inscrit dans le code pénal en 2014, répondait à des besoins
    nouveaux face à la montée de la propagande extrémiste, notamment sur Internet et les réseaux
    sociaux. Revenir uniquement à la loi de 1881 ne permettrait pas de lutter efficacement contre
    des discours qui prolifèrent instantanément à grande échelle.
    La loi de 1881, pensée pour l’expression journalistique, n’est pas adaptée à la rapidité et à la
    viralité des discours apologétiques diffusés aujourd’hui. Maintenir ce délit dans le code pénal,
    avec ses spécificités, est nécessaire pour préserver notre sécurité collective dans un monde où
    la radicalisation se nourrit d’une communication immédiate et non régulée.
  2. Un contexte que vous semblez minimiser
    Vous semblez sous-estimer la portée symbolique et pratique de votre proposition,
    particulièrement dans une ville comme Strasbourg, marquée à jamais par l’attentat du 11
    décembre 2018. Je vous rappelle que les discours d’apologie du terrorisme ne sont pas des
    paroles anodines : ils servent de levier pour recruter, radicaliser et légitimer la violence extrême.
    En tant qu’adjointe au maire de Strasbourg chargée de la prévention de la radicalisation au
    moment de cet attentat, j’ai vu de près les ravages causés par de tels actes, tant sur les victimes
    et leurs familles que sur la cohésion sociale. Laisser prospérer des propos apologétiques
    reviendrait à tourner le dos à ces réalités et à fragiliser davantage notre société.

Chantal Cutajar
Présidente

Votre position, Monsieur le Député, envoie un signal de laxisme alors que les Strasbourgeois
attendent de leurs élus une posture ferme et responsable face à la menace terroriste.

  1. Non, cette loi n’est pas liberticide
    Vous évoquez une « instrumentalisation » de ce délit contre les militants, journalistes ou
    syndicalistes, mais omettez volontairement de rappeler les garde-fous juridiques existants :
  • L’examen du contexte : Les tribunaux ne condamnent pas à l’aveugle. Chaque propos
    est analysé dans sa forme, son contenu et ses circonstances.
  • L’intentionnalité : Pour qu’il y ait condamnation, il doit être démontré que l’auteur des
    propos avait l’intention de glorifier ou justifier des actes terroristes.
  • La distinction avec la critique politique : Jamais la critique d’un acte politique ou
    gouvernemental n’a été confondue avec l’apologie d’un acte terroriste.
    Par conséquent, cette loi ne vise ni à restreindre les libertés, ni à museler le débat public, mais
    à protéger la République contre des discours qui franchissent les limites de l’acceptable. Il ne
    s’agit pas de sanctionner des opinions, mais de prévenir des dérives qui menacent la sécurité
    nationale et la paix sociale.
  1. Une responsabilité républicaine incontournable
    Enfin, je vous interpelle à nouveau sur votre responsabilité d’élu. Vous représentez une
    circonscription marquée par une tragédie terroriste récente, et vos choix politiques doivent être
    à la hauteur des attentes des Strasbourgeois. La commémoration du 6ème anniversaire de
    l’attentat du 11 décembre est un moment de recueillement et de mémoire, mais aussi de
    détermination à refuser la banalisation des discours de haine et de violence.
    Supprimer le délit d’apologie du terrorisme serait perçu comme un signal de renoncement, non
    seulement par les victimes et leurs familles, mais aussi par les forces de sécurité et les citoyens
    qui attendent des mesures fermes pour les protéger.
    Conclusion : défendre la République
    Monsieur le Député, la liberté d’expression est une valeur fondamentale, mais elle ne saurait
    être détournée pour justifier ou légitimer l’injustifiable. Le délit d’apologie du terrorisme n’est
    pas une entrave aux libertés, mais un rempart indispensable contre la propagation de discours
    dangereux.
    Par ailleurs, j’ai noté que vous avez choisi de publier votre réponse sur votre compte Twitter
    avant même de me la transmettre directement. Ce procédé, s’il est révélateur de votre volonté
    de politiser ce débat, n’en reste pas moins regrettable, car il détourne un échange sérieux et
    républicain vers une mise en scène médiatique. Je persiste à croire que les Strasbourgeois,
    notamment ceux qui se souviennent du 11 décembre 2018, méritent un débat à la hauteur des
    enjeux, respectueux des interlocuteurs et des valeurs que nous défendons.

Chantal Cutajar
Présidente

Je vous invite à reconsidérer votre position et à prendre pleinement conscience de la portée
symbolique et pratique de votre démarche, en particulier pour notre ville de Strasbourg, qui sait
trop bien ce que signifie la barbarie terroriste.
Je reste à votre disposition pour poursuivre cet échange si vous le souhaitez.
Veuillez agréer, Monsieur le Député, l’expression de mes salutations républicaines.
Chantal Cutajar
Présidente de CAP21-LRC
Maître de conférences des Facultés de droit
Directrice du CEIFAC et du GRASCO
Ancienne adjointe au maire de Strasbourg en charge de la prévention de la radicalisation et de
l’aide aux victimes du terrorisme (2014-2020)